Réunions entre amies

Helysan s'installa dans l'arène et regarda le monde fou qu'il y avait. Enfin, il n'y en avait pas tant que cela, mais il fallait avouer, la foule lui faisait toujours bizarre. Elle venait regarder Théa à un combat, elle lui avait donné rendez-vous après sa prestation, avec Nessa. Elle voulait leur parler de certaines choses - enfin, d'une seule qui regroupe plusieurs choses - en privé, avant d'avoir à donner l'information à plus grande échelle.

Elle pouvait faire confiance à ces jeunes femmes pour garder le secret, elle en était certaine, mais elle avait aussi besoin d'aide pour certaines choses qu'elle ne pouvait pas faire seules, certaines courses embarrassantes mais pourtant nécessaire.Heureusement qu'elle n'était pas la seule femme au monde - elle aurait été royalement dans le caca de dragon.

Elle était nerveuse, habillée incognito avec un grand chapeau et une robe modeste de Mage. Alpharoz allait bientôt revenir en ville, et elle avait apprit quelque chose dont elle ignorait la portée pour lui. Ils en avaient parlé, il lui avait dit quoi faire en cas d'urgence. Mais elle craignait sa réaction. C'était grave.

Elle applaudit Théa, qui venait de gagner un combat. Elle vit aussi Nessa dans la foule, et voulut lui faire un signe mais préféra rester un peu incognito. Elle cria juste :

"Nessa!"

Elle se leva, et son chapeau s'envola. Elle le rattrapa de justesse, mais quelqu'un l'avait probablement reconnue, car elle entendit son nom. Elle ajusta donc le couvre chef et descendit de quelques gradins.

Théa regarda pensivement son adversaire vaincu s'éloigner, les épaules basses. Elle détestait voir la défaite des autres duelistes, leurs visages fatigués et déçus, et pourtant elle ne pouvait pas les laisser gagner tout simplement parce qu'elle avait pitié d'eux. Cela ne les aurait pas aidé, loin de là, aussi bien que cela aurait été désastreux pour sa carrière. Elle préférait les voir redoubler d'efforts aux entraînements que de devoir s'incliner par pure charité.

Son regard dévia sur le tapis mouvant que formait la foule assemblée dans les gradins. Concentrée sur le combat, elle avait cessé d'entendre la clameur qui s'en élevait, et ne les avait même plus vu, alors qu'elle matérialisait une sorte d'éléphant géant destiné à piétiner le gorille mauve façonné par son adversaire. Gagner ce combat avait été un jeu d'enfant, comme les deux précédents, et elle était consciente que ce petit tournoi n'allait pas représenter un obstacle. Elle était là pour le spectacle, comme le lui avait confié son entraîneur.

Et pourtant, elle s'amusait comme une folle. Combat facile ou non, Théa n'était jamais aussi heureuse que lorsqu'elle vidait son esprit de toute préoccupation autre que le duel. Qu'elle laissait son imagination guider le combat et que plus rien d'autre ne comptait.

Alors qu'elle attendait le prochain adversaire, elle se souvint brusquement de la convocation de l'Impératrice. Apparement, elle souhaitait lui parler, à elle ainsi qu'a Nessa. Théa sourit en fouillant la foule des yeux, en vain. Il lui était impossible de les discerner, et pourtant elle savait que les deux jeunes femmes étaient là. Cette pensée le rendit quelque peu nerveuse. Jusqu'ici, elle avait estimé ne rien devoir à personne, n'avoir rien de spécial à prouver à qui que ce soit à part à elle même.

Or, alors qu'elle avait le sentiment d'avoir enfin trouver des amis, de vrais amis qui ne s'intéressaient pas à elle uniquement pour l'argent ou pour sa notoriété, étant donné qu'ils en possédaient eux même à foison, elle se demandait s'il n'était pas plus prudent de ne pas risquer de les décevoir en perdant.

*De toute manière, il n'est pas question que je perde* se reprit-elle en avisant le prochain dueliste qui s'avançait vers elle, l'air déterminé.

De nouveau focalisée sur le duel à venir, Théa tendit son esprit pour faire apparaître, en guise d'introduction, un fauve au pelage sombre zébré d'un gris argenté. L'une de ses invocation préférée.

*C'est parti* songea t-elle avec jubilation alors que le grand oiseau de proie matérialisé par le jeune homme face à elle plongeait sur la bête.

Celle ci roula sur elle-même d'un geste souple et faucha son agresseur d'un coup de patte bien placé. Le rapace batti des ailes dans un mouvement désordonné avant de se reprendre, et de fondre sur l'ennemi en se changeant en une sorte d'ours au pelage bleuté. Un fin sourire se dessina sur le visage concentré de Théa, et ses yeux pâles pétillèrent d'interêt. Ce concurrent là avait l'air de savoir se défendre.

Nessa entamait une après-midi qui promettait d’être excellente. Au matin, elle s’était rendue au Palais où elle avait rencontré les Magiciens les plus proches de feu son père. Ils avaient mis en place, ensemble, les rudiments du métier qu’elle s’apprêtait à embrasser, c’est-à-dire avant tout diriger l’académie où les apprentis débutaient leurs premiers pas sur la voie de la magie, en mi-temps avec l’apprentissage personnel que leur réservait leur maître, académie dont elle avait elle-même suivi les cours. Elle avait toujours du mal à assimiler que ça serait à elle d’en prendre la tête… Et puis à présent que son apprentissage était achevé, elle songeait à prendre un apprenti.

Au détour d’un couloir, elle avait croisé l’impératrice Hélysan. Elle semblait pressée, au vu de son pas rapide, et lui avait donné rendez-vous à l’arène pour le duel d’invocation de Théa de Vardenn, la Championne. Qui était son amie, d’ailleurs. Apparemment l’impératrice désirait s’entretenir avec elles deux. Nessa appréciait Hélysan, bien que son statut ne lui permette pas tout à fait d’entretenir avec elle la même relation que l’amitié qui la liait à Théa. Elle se rendait très souvent au Palais du temps de son apprentissage et avait néanmoins eu le temps de lier une relation amicale avec la souveraine.

C’était donc le pas guilleret que la magicienne s’était rendue à l’arène. Elle n’avait plus eu l’occasion de voir Théa depuis un moment, elles avaient toutes les deux été très prises, et elle la verrait combattre avec plaisir.

De plus, elle adorait les duels d’invocation. Depuis sa plus tendre enfance elle avait assisté auxdits duels, accompagnée de son père, et si elle ne s’était pas découvert un don certain pour la magie elle aurait probablement choisi de devenir invocatrice. Elle avait toujours éprouvé une certaine fascination à la vue de ces apparitions sorties de nulle part qui s’affrontaient pour leurs créateurs.

Elle s’était installée dans une tribune et s’était très vite plongée dans le combat. Théa avait pour elle sa silhouette féminine, qui déstabilisait souvent ses adversaires. C’était leur première erreur. La rouquine était plongée dans une concentration sans faille, manipulait ses créatures avec vitesse et dextérité. Nessa en restait soufflée, et c’est à peine si elle entendit la voix de l’impératrice, quelques gradins au-dessus d’elle, l’appeler. Elle avait tenté de camoufler son identité mais c’était visiblement faite reconnaître, aussi elle la voyait crapahuter jusqu’à sa rangée pour la rejoindre. Elle agita le bras pour la guider.

« Je suis ici ! », ajouta-t-elle pour lui faire comprendre qu’elle l’avait repérée.

Nessa lui avait fait un signe, alors Helysan s'approcha, contente d'offrir une contenance à sa gêne. Alors, elle s'assit prudemment sur un gradin, et tint son ventre dans ses mains. Elle était toujours angoissée lorsqu'elle venait en public sans protection. Elle regarda Nessa et lui lança un regarde tendre, trop tendre.

"C'est gentil d'être venue, je m'inquiétais un peu, toute seule là haut. Et puis je ne sais même pas si je devrais vraiment me cacher."

Helysan chercha dans ses poches un papier et le donna à Nessa. C'était un manuscrit l'invitant d'avance à un banquet prévu dans quelques semaines. A la fin, il y avait même une demande d'aide à la préparation. Un peu timide, l'écriture montrait l'hésitation que cela occasionnait.

"Je te fais un speech, rapidement. Je voulais vous demander, à toi et Théa, de m'aider à préparer la cour des Festins. C'est dur de le faire toute seule, et j'ai besoin d'aide pour certaines choses. Tu seras libre?"

Elle lança ensuite un regard presque suppliant.

*J'avais promis de ne pas la forcer, pourquoi je fais un tel regard? Je devrais me calmer, moi, et mes ardeurs. Enfin...*

L’impératrice rejoignit Nessa et s’assit à côté d’elle, un sourire enjoué sur le visage. Elle semblait de bonne humeur, bien qu’un peu affolée par la foule. C’est sûr que ce n’était pas très rassurant quand on est une figure marquante du peuple d’Astaria… Tout en gardant un œil sur le duel, Nessa écoutait l’impératrice. Sans tourner autour du pot, elle lui annonça immédiatement pourquoi elle voulait les voir, elle et la Championne : pour qu’elles l’aide à préparer la Cour des Festins en vue d’un banquet.

Son regard enfantin de chien battu était impossible à esquiver. Nessa savait d’ores et déjà qu’elle allait accepter, de toute façon ce n’était pas dans ses habitudes de refuser lorsqu’elle pouvait aider quelqu’un. Elle sourit à son tour et riva ses yeux sur le combat. Elle allait évidemment dire oui, mais faire mariner un peu l’impératrice pourrait se révéler amusant…

A ce moment du combat, Théa avait matérialisé un gigantesque serpent aux anneaux mordorés qui avait entreprit d’enserrer le grizzli de son adversaire. La bête rugissait, tous les poils électrisés sur son corps, mais le boa continuait de serrer jusqu’à le faire étouffer. L’invocateur à qui il appartenait invoqua alors une minuscule souris, remplaçant l’ours, qu’il espérait voir se faufiler entre les mailles du filet. Malheureusement le serpent n’était pas du même avis. Il la suivit quelques secondes de son œil reptilien avant d’ouvrir une gueule cernée de crocs qui suintaient de venin et l’avala. Il en recracha le Cœur d’invocation et disparut aux pieds de Théa, victorieuse.

En parlant de sourires, celui que Théa offrit (faisons tel Bottero xD) à son adversaire n’était pas mal placé dans la catégorie « je veux faire fondre la personne en face de moi ». Il fit instantanément disparaître toute animosité au perdant, qui lui rendit même une esquisse de sourire du bout des lèvres. Nessa, amusée par la situation, laissa échapper un éclat de rire avant de se retourner vers Hélysan, implorante.

« C’est d’accord, j’aurai grand plaisir à vous aider, Impératrice », accepta-t-elle de bon cœur. « Quand voulez-vous organiser ce banquet ? »

D’un coup d’œil, la magicienne repéra le nouvel et dernier opposant à Théa. Si elle le battait elle gagnait le tournoi. Dans les gradins, les spectateurs l’acclamaient, l’encourageaient, mais elle ne se laissait pas perturber par ces manifestations d’allégresse, sa concentration était perceptible jusqu’à Nessa. En tendant les mains, elle aurait pu sentir vibrer son aura, d’un rouge flamboyant. Elle avait hâte d’assister au dernier duel, celui qui signerait probablement sa victoire écrasante.

Soupirant d'aise après avoir entendu l'assentiment de Nessa, elle respira, remarquant qu'elle avait retenu sa respiration depuis deux bonnes minutes. Alors, elle se concentra sur le combat. Il allait commencer, et elle le savait bien qu'elle ne connaisse pas grand chose à la magie, et encore moins aux coeur d'Invocation. Mais ce qu'elle aimait dedans était l'attitude des combattants humains, cachés derrières leurs invocations, dictant leur moindre souffle avec une autorité implacable. Néanmoins, elle réfléchit deux seconde, se remémorant de ses projets, puis elle les exposa :

"Je souhaiterais qu'il soit prêt pour ce dimanche, à l'occasion de l'officialisation de l'automne. Donc, nous avons dix jours à peu près. Je ne sais pas si c'est faisable mais j'ai déjà préparé l'essentiel. J'aurais besoin de vous deux pour quelques petits détails... Embarassants. Bon, ok, important eux aussi."

Helysan s'emmêlait les pinceaux, tant elle bafouillait. Elle se triturait les doigts, presque prête à se ronger les ongles. Elle prit l'épaule de Nessa, comme pour s'assurer qu'elle reste là, puis elle voulut parler. Elle déglutit d'abord.

"Si je te dis un secret, tu ne répèteras ce secret... A personne?"

Elle la lâcha brusquement pour secouer les mains en signe de dénégation :

"Mais on attends Théa, bien sur!"

Le dernier concurrent entra dans l'arène, et Théa se focalisa aussitôt sur lui... C'était un grand jeune homme à la carrure élancée et athlétique. Pas vraiment le genre armoire à glace, plutôt celui d'un sportif tout en muscle et en nerfs, dont on pouvait imaginer l'agilité et la force. Théa l'évalua d'un coup d'oeil appréciateur, consciente de ce que l'esprit de son adversaire pouvait bien être aussi affûté que le reste de son corps. Elle en était d'ailleurs sûre.

Elle banda sa volonté, tendant son esprit vers Elanor. Elle sentit que son vis à vis faisait de même. Bien. Cela allait certainement être un match intéressant, et elle était là pour s'entraîner...

Le début du match fut annoncé, et elle matérialisa instantanément une sorte de gros pachyderme doté d'une grande trompe assimilable à celle des papillons. A l'instant même où apparut l'invocation adversaire, un gorille disproportionné des plus impressionnants, elle s'enroula autour d'elle et l'attira violemment contre le poitrail de la bête, avant de la jeter vers le mur. Loin de se laisser déstabiliser, le grand singe prit appui sur la paroi et se propulsa de toutes ses forces contre e flanc de son ennemi, qui vacilla et trébucha dans le sable.

*Ouch, un point pour lui* commenta mentalement Théa en observant son éléphant s'écrouler.

Il changea aussitôt de forme pour prendre l'apparence d'un grand lézard dressé sur ses deux pattes, la gueule hérissée de crocs rouges et mugissant comme si sa vie en dépendait. Théa avait conscience qu'elle y allait un peu fort, mais l'intimidation faisait partie du jeu et ce rugissement avait dû ébranler l'arène tout entière. Elle pouvait donc raisonnablement penser que son adversaire avait dû en subir le choc également.

Elle lui jeta un coup d'oeil détournant son attention du gorille une fraction de seconde, et s'aperçu que c'était le cas. Le reptile dépassait d'un bon mètre sa propre invocation, et il ne semblait pas trouver l'approche adéquate à l'affrontement d'un tel monstre. Qu'à cela ne tienne, Théa chargea.

La mâchoire du monstre se referma sur la patte du gorille qui tenta de s'échapper d'une violente bourrade qui ressemblait plus à un spasme qu'autre chose. Finalement, il renonça et se changea en un élémentaire d'eau qui déferla aussitôt sur le grand lézard. Submergé pendant un instant, celui-ci disparu de la vue des spectateurs durant un instant...

Le raz de marée sembla prendre le dessus pendant quelques secondes jusqu'à ce que, mystérieusement, il décroisse à une vitesse alarmante. Emergeant de la véritable inondation provoquée par l'élémentaire, une énorme plante vénéneuse connue pour proliférer dans les marais absorba la majeure partie de l'invocation qui n'eut d'autre choix que de mettre son coeur à l'abris sous une nouvelle forme, celle d'un animal bondissant qui s'éclipsa rapidement, gagnant le temps nécessaire à son créateur pour qu'il se reprenne.

Théa transpirait, épuisée par toute l'énergie déployée à maintenir le dinosaure afin de le transformer en plante, mais était bien décidée à en finir. Son adversaire, si rapide qu'il fut, n'emporterait pas la victoire. De nouveau, elle fit apparaître le tigre au pelage couleur de nuit qui bondit à la suite de sa proie, dans une charge fulgurante et implacable qui la propulsa contre le mur le plus proche. Victoire par KO.

Le coeur d'invocation de l'adversaire tomba au sol, sous le regard médusé de son propriétaire. Théa prit une grande inspiration et posa les mains sur ses cuisses afin de reprendre son souffle. Même si elle n'avait pas bougé, tous ses muscles tendus dans l'effort se faisaient sentir, et elle haletait comme si elle avait couru. Elle se reprit vite cependant, ayant déjà été beaucoup plus fatiguée que cela.

Alors elle releva les yeux et fit revenir son Coeur, qu'elle brandit timidement face à la foule dont elle venait de reprendre conscience. L'ivresse du combat se dissipait peu à peu, lui laissant un sentiment d'intense satisfaction au creux de l'estomac. Son adversaire vint lui serrer la main avec un sourire, qu'elle lui rendit. Cela là au moins était bon perdant.

*Maintenant, retrouver Nessa et l'Impératrice histoire de savoir de quoi il retourne* songea t-elle, déjà passée à autre chose.

Elle quitta le stade, supposant que les deux jeunes femmes trouveraient le moyen de la rejoindre du fait de leur rang.

Nessa avait les yeux rivés sur le combat. Théa faisait face à un adversaire qui, rien que physiquement, avait l’air bien plus élaboré que les précédents. Il avait cette lueur dans le regard qui démontrait son intelligence. L’éléphant doré de Théa commença la danse en essayant d’impressionner son opposant, et il fallait avouer que pour être impressionnant, il l’était. Il répliqua sur le même ton : un gigantesque gorille qui anéantit l’éléphant. Mais il se métamorphosa en un reptile…

Terrassé par une vague d’eau gigantesque. Nessa sursauta lorsqu’elle déferla sur le lézard géant, remplaçant le gorille en une fraction de seconde. Le coup le plus impressionnant fut la plante vénéneuse et gigantesque qui se matérialisa au milieu de l’eau, la faisant refluer en s’en nourrissant. Toute l’assistance fut parcourue d’un murmure d’étonnement approbateur : l’utilisation des végétaux était rare pendant les duels. Plus éloignés de l’homme que les animaux, ils demandaient une force et une concentration hors du commun.

Justement, Théa paraissait torturée par la puissance que requerrait cette invocation. Les sourcils plissés, les genoux fléchis, elle suait à grosses gouttes pour maintenir la plante dans la réalité. Elle finit par lâcher, et en un éclair un tigre bleu nuit remplaça le végétal carnivore. Plus petit et plus banal, mais efficace : d’un coup de patte, le fauve plaqua sa proie par terre et il n’en resta plus que le Cœur d’invocation.

Le public tout entier applaudissait Théa, qui se délectait d’une victoire bien méritée. Son adversaire, bon perdant, lui tendit la main et lui adressa un sourire partagé. Nessa était encore prise dans l’euphorie du moment et ne réagit aux paroles de l’impératrice qu’après s’être remise de la victoire de son amie. Un secret ? Oh, elle adorait les secrets ! Surtout que les secrets du type impériaux devaient vraiment être des maousses secrets. Elle avait hâte de l’entendre.

« Je serai muette comme une tombe, majesté, et je ne doute pas une seule seconde que Théa partage mon mutisme », répondit-elle d’un air enjoué à Hélysan. « D’ailleurs, si nous allions la rejoindre à la sortie de l’arène ? » proposa-t-elle.

Elle s’était dores et déjà ruée dans les escaliers, l’impératrice à sa suite, encore l’esprit tout embrumé de créatures fantasques sorties de l’imagination des duellistes. Ah, décidément, une certaine amertume face à son don, qui l’avait privé de la carrière d’invocatrice à laquelle elle aspirait enfant, avant de découvrir la magie qui pulsait en elle. Et qui la tentait toujours. Rêveuse, elle arriva à la sortie de l’arène, exactement en même temps que la Championne. Sans plus attendre, elle la rejoignit, la surprenant. Elle ne l’avait pas vue arriver. Elle fit un signe de tête à l’impératrice, marque du respect qu’elle devait à sa souveraine, puis son visage s’éclaira d’un large sourire.

« Théa ! Excellent tournoi, bravo. Tu dois être exténuée… C’était vraiment magnifique, j’en ai encore des étoiles plein les yeux », s’extasia Nessa.

Helysan médita la réponse de Nessa distraitement, le regard posé sur l’arène sans la voir. Elle répondit d’une voix absente :

« Merci, Nessa. Théa a apparemment fini… »

Mais elle n’eut pas le temps de répondre que Nessa était déjà partie rejoindre son amie avec l’empressement d’un bambin bienheureux. Elle ressentit un pincement au cœur, sans raison particulière. Elle était un peu jalouse de l’effusion de sentiment dont Théa avait droit. Helysan, elle, ne recevait de câlin uniquement de la part d’un époux aimant mais absent. Même sa propre sœur se tenait à carreaux, comme si elle risquait de se faire emprisonner juste pour avoir prit l’Impératrice dans ses bras.

Elle se leva, donc, et se dirigea vers les demoiselles, trouvant brusquement fort intéressant ses pieds resserrés dans des chaussures créées dans une peau méconnaissable. Elle arriva face à Théa, et se sentit presque forcée de faire un commentaire, quelconque somme toute, mais un commentaire.

« Félicitation, Théa. Beau combat. J’en viens même à souhaiter que les créatures matérialisée ne deviennent pas réelles un jour. »

Helysan ne savait pas si elle pouvait parler maintenant de son souci, au vu de l’état exténué qu’elle montrait. Plusieurs heures à se battre, même virtuellement, devaient avoir son lot de fatigue. Mais elle s’assit néanmoins, sentant ses jambes se dérober sous ses pieds, comme si elle allait s’évanouir. Boarf, rien de grave, probablement le repas du midi qui ne passait pas…

Théa avait regagné un petit coin occupé par son entraîneur, une vasque remplie d'eau et une serviette. Sans attendre, elle plongea la louche dans le liquide et bu à longs traits, soulagée de débarasser sa gorge du sable qui s'y était engouffré au cours des duels et qui l'avait asséchée.

Elle n'avait pas pour habitude de regagner les gradins entre chaque combat, ne souhaitant pas se déconcentrer, et si elle voyait ses avdersaire se désaltérer toutes les deux minutes, elle-même n'en éprouvait réellement le besoin qu'une fois les tournois ou les entraînement terminés. Pensive, elle se passa la serviette sur le front et dans la nuque, épongeant la sueur qui s'y était déposé. Le soleil cognait dur et l'effort avait manifestement requit autant de concentration physique que mentale.

Elle n'en avait pas eu tellement conscience.

Nessa et l'Impératrice ne tardèrent pas à surgir de la foule, l'une très enthousiaste et l'autre plus réservée. Elle leur adressa l'un des sourires chaleureux dont elle avait le secret et passa une main dans ses cheveux. Geste machinal qui pouvait signifier tout et n'importe quoi chez elle, de la gêne à la joie.

"Nessa! Comment vas tu?" acceuillit-elle son amie en se retenant de lui passer l'accolade au vu du fait qu'elle était pleine de sueur et de sable.

Elle doutait que son amie soit ravie de retrouver sa jolie tenue complètement salie. Elle se tourna ensuite vers la souveraine qui se tenait un peu en retrait, manifestement intimidée par la foule et un peu désorientée. Elle se courba légèrement, ne pouvant faire fi d'un protocole qu'on ne lui avait que trop bien enseigné dans sa jeunesse, avant de lui adresser la parole, enjouée.

"Bonjour, Impératrice. Je suppose que vous allez enfin nous entretenir de ce grand secret qui nous réuni ici aujourd'hui" fit-elle en prenant de faux airs de conspiratrice. "Venez par ici, nous serons au calme pour parler, et je pourrais échapper aux éventuels perdants jaloux".

Elle songeait surtout au fait que l'Impératrice pouvait être victime d'un accident qui aurait été fâcheux. D'autant qu'elle semblait vaciller légèrement. Cependant, il était hors de question de l'affoler ou de la mettre mal à l'aise par un excès de zèle ou de prévenance.

Elle les conduisit dans l'intérieur de l'arène, où l'on avait aménagé quelques salles confortables destinées aux dirigeant, aux entraîneurs et aux familles des sportifs venus les soutenir. Théa songea que la sienne ne risquait pas de poser séant dans ces fauteuils un jour.

"Voila, je pense que nous serons bien"

Nessa suivit docilement Théa dans les quartiers réservés aux invocateurs, leurs proches et leurs entraîneurs, tout en s’assurant que l’impératrice les suivaient. Elle semblait avoir des vertiges et avoir du mal à tenir debout. Peut-être ce fameux secret avait-il quelque chose à voir avec sa santé ? Elle espérait fortement que non. Outre être la souveraine de tout Astaria, Nessa était fière de la compter parmi ses amis et n’osait même pas penser à la tristesse qui déferlerait sur elle si elle avait quelque chose de grave.

La salle dont disposaient les trois amies était spacieuse et confortable : plusieurs fauteuils moelleux étaient postés dans la pièce, sur des tapis luxueux richement brodés. Des tentures représentant des duels d’invocation ornaient les murs et des sphères d’énergie rouge et blanche éclairaient par magie, répandant une atmosphère douce et chaleureuse. Théa s’installa confortablement dans un des sièges, vite suivie par les deux autres jeunes filles.

« Alors, Hélysan, quel est ce secret dont tu voulais nous entretenir ? » s’empressa de demander Nessa, un peu curieuse.

Elle adorait les secrets. Dès qu’on lui confiait quelque chose, elle ne pouvait s’empêcher de repenser à un épisode de son enfance en rapport. Son père, un soir d’été, alors qu’elle n’avait que cinq ou six ans, s’était approché d’elle et lui avait chuchoté à l’oreille qu’il avait un secret à lui dire. Elle était heureuse de cette marque de confiance et accourut, toute ouïe. Il lui révéla alors son appartenance au monde de la magie et fit apparaître pour elle toute une série de petites boules d’énergie bleutées dansant autour d’elle. Elle en avait été toute ébahie et avait longtemps été persuadée d’être la seule à être au courant.

Néanmoins Nessa était une femme en qui on pouvait avoir confiance, et l’impératrice savait bien que ni elle ni Théa ne s’abaisseraient à en répéter le moindre mot. Ce n’était pas pour rien que c’était à elles qu’elle avait décidé de le confier. Elle regarda Hélysan, qui semblait tendue, anxieuse. Elle était également très pâle et la magicienne s’inquiétait pour elle.

« Tu es sûre que tout va bien ? » s’assura-t-elle.

Il serait mal venu, juste avant le grand banquet qu’elle désirait organiser, que la souveraine tombe malade. Elle se demanda d’ailleurs si Théa était déjà prévenue pour la réception, et avait donné une réponse. Connaissant la Championne, Nessa pouvait parier qu’elle aiderait de bonne grâce l’impératrice à préparer l’évènement.

Helysan regarda Nessa, et rit de son impatience. Une fois assise avec précaution dans un fauteuil, elle murmura à Nessa :

"Un tout petit peu de patience, je vais d'abord exposer la situation à Théa."

Elle se tripota les mains, puis sortit de sa robe de prêtresse un carton identique à celui donné à Nessa. Il donnait la date, l'heure et le lieu du banquet. Elle le tendit après hésitation à Théa, et ensuite finit par s'expliquer.

"Je souhaite organiser un banquet pour le retour de Alpharoz, et j'aurais besoin d'aide, car je suis toute seule. D'autant plus que, comme je l'ai dit à Nessa, il y a un soucis, et il est tout de même de taille."

Elle dévisagea Théa, cherchant une approbation ou même une réaction. Mais elle n'attendit pas longtemps, elle essaya d'abord de trouver les mots. De toutes les épreuves passées, celle ci evait être la plus dure.

"Est-ce que... Tu voudras bien m'aider? J'attends acceptation pour dire vraiment de quoi il en retourne."

Théa se cala confortablement dans son fauteuil, trouvant que ses muscles se faisaient un peu trop sentir à son goût. Etendant imperceptiblement les jambes, elle laissa la tension provoquée par les combats retomber, et ses épaules se relâcher par la même occasion. Ouf, c'était déjà mieux.

Elle se concentra sur ce qui se disait, et remarqua, comme Nessa, que l'impératrice semblait un peu fébrile, peut-être même un peu pâle. Elle se souvint de son vacillement, et hocha la tête avec inquiétude quand Nessa émit sa propre interrogation sur l'état de santé de la souveraine. Cette dernière ne répondit pas, cependant, ayant déjà oublié sa faiblesse apparence semblait-il. A la place, elle entra dans le vif du sujet, à savoir ce banquet duquel elle souhaitait les entretenir.

Elle fronça les sourcils à l'évocation d'un soucis quelconque dans l'organisation des festivités, mais commença à comprendre. Leur rôle à elle et Nessa, semblait plus clair dans toute cette histoire. Hélysan n'était pas la personne la plus libre de l'Empire, c'était sûr, et elle avait sûrement besoin de leur intervention pour certaines choses qu'elle ne pouvait pas faire elle-même du fait de son statut. Et elle voulait certainement une belle fête pour le retour de son époux.

Avec un vague sentiment de malaise, Théa repensa à l'Ombre qui l'avait plus ou moins conviée à cette soirée, et qui disait être le frère jumeau du souverain. Elle avait accepté elle ne savait trop pourquoi, sans doute parce qu'elle avait eu peur que la chance qu'elle avait eu jusque là avec cet homme inquiétant ne tourne et qu'on ne retrouve son corps dépecé de ses mains avant le prochain tournoi si elle refusait.

Et maintenant, l'impératrice lui demandait de l'aide.

Pensivement, elle fit tourner la bague confiée par Zarock autour de son pouce, se demandant si elle devait ou non cracher le morceau. Quelque chose la retint. Elle ne voulait pas l'impératrice annule sa fête, et elle était convaincue qu'elle pouvait maîtriser l'Ombre si la situation dérapait.

"J'accepte evidemment de t'aider" sourit-elle donc en passant naturellement au tutoiement déjà utilisé par les deux autres. "De quoi s'agit-il?"

L’impératrice coupa court à l’empressement de Nessa, toute excitée par ce genre d’évènements. Elle était heureuse de voir qu’Hélysan la considérait comme une amie. Il était vrai que vu sa position néanmoins importante dans l’empire, elle avait peu de personnes correspondant à cette description et était heureuse d’avoir la certitude de pouvoir compter sur Hélysan et Théa tout comme elles savaient que Nessa serait toujours disponible pour elles.

D’ailleurs c’est pour ça que l’impératrice avait demandé l’aide des deux jeunes femmes, elles entre les autres qui peuplaient la Cour. Et également car elles ne la considéraient pas simplement comme leur impératrice, mais comme quelqu’un de normal, de courant. Elle devait parfois se sentir isolée et exilée par rapport aux autres personnes de son âge et cela entraînait une grande solitude.

« Tu sais bien que nous sommes toujours disposes à te rendre service », ajouta Nessa après l’acquiescement de Théa, un sourire aux lèvres.

La Championne, après s’être détendue avec quelques étirements basiques – son duel avait été éprouvant et avait sûrement dû laisser des séquelles de fatigues dans ses membres – avait répondu par l’affirmative à la demande impériale. Elle avait cependant hésité quelques minutes, mais la magicienne, perspicace, devinait que ce n’était pas à cause de l’organisation du banquet. Non, quelque chose d’autre la préoccupait et elle ignorait quoi. Soit, elle lui faisait confiance pour en parler si elle en éprouvait le besoin, quand le moment serait venu.

« Maintenant, comptes-tu nous révéler ce fameux secret que je brûle de connaître ? » demanda Nessa, revêtant un masque d’indifférence feinte pour ne pas montrer son empressement.

Dans un coin de sa tête, elle réfléchissait à quelqu’un pour l’accompagner à ce fameux banquet. Elle n’eut pas à chercher loin pour penser à Skadel, mais elle ignorait si le jeune homme comptait y aller ou même la revoir. Ses facettes étaient si nombreuses qu’elle ne parvenait pas, en dépit de ses efforts, à savoir ce qu’il pensait à propos d’elle. Pourtant il avait éveillé en elle des sentiments et sensations jusqu’alors inconnues et était consciente, en ayant le privilège de voler avec lui, d’avoir partagé un moment unique. Elle chassa le jeune homme de ses pensées, à présent troublées, et se concentra sur la conversation en cours.

Maintenant qu'elle avait l'assurance d'être aidée, elle pouvait dévoiler ce qu'elle cachait à tous depuis qu'elle l'avait apprit. Mais bon, elle avait besoin d'en parler. Alors tant qu'à faire, parlons-en d'abord à des gens de confiance avant tout assener d'un coup à son époux qui serait sans doute affligé? Elle respira un bon bol d'air, et murmura :

"Cela faisait quelques temps que Alpharoz et moi parlions d'avoir des... Enfants. Mais il ne voulait pas en avoir en cette période un peu mouvementée. Mais je n'ai pas trop eu le choix."

Helysan hésita un petit moment, puis se lança pour de bon - après tout, qu'est-ce qu'elles pouvaient bien faire de mal?

"Je suis enceinte. Apparemment de deux mois, sans que je ne remarque rien."

Elle fit un sourire qui trahissait son bonheur, mais reprit un peu son visage sérieux, attendant une réaction positive. Si elles paniquaient, ou même tentaient de dire des choses rassurantes, c'était qu'elle avait très mal choisi le moment. Si elles étaient heureuses... Ou même contentes tout court, Alpharoz ne devrait pas trouver d'inconvénient majeur... Enfin, elle pensait. Les femmes et les hommes avaient tous et chacun des préoccupations différentes, elle ne pouvait pas toujours savoir quoi ou comment faire.